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Leçon d’improvisation pour entrepreneurs

Ibrahim Maalouf au Deutsches Jazzfestival de Frankfurt (2013)

« De certaines personnes, on dit qu’elles ont de la chance, mais en réalité elles ne cessent de la chercher, de la provoquer, de se mettre en situation de l’accueillir aussi. »

Cette phrase est tirée d’un livre dont je n’ai pas encore parlé ici mais dont la lecture est riche d’enseignements pour les entrepreneurs, sans que cela ne soit recherché par son auteur.

Il s’agit d’une Petite Philosophie de l’Improvisation, par Ibrahim Maalouf, un trompettiste étonnant que certains d’entre vous connaissent probablement. Un musicien aux nombreuses vies, devenu sans même s’en rendre compte entrepreneur.

Pour ceux qui ne le connaissent pas, une brève biographie. Franco-libanais, fils d’un trompettiste virtuose qui lui a enseigné son art avec la plus grande des exigences et un académisme marqué, et d’une pianiste sur l’instrument de laquelle il a pu apprendre dans la plus grande des libertés à jouer de l’instrument et à sortir du cadre.

Trompettiste donc, compositeur, producteur, professeur d’improvisation et de trompette. Diplômé du conservatoire, il ne s’est pas cantonné à la musique classique. Il a multiplié les collaborations et mélange les genres avec une grande liberté, du jazz à la musique orientale ou au rock. A l’image de ce concert à la Seine Musicale, où il se produisait dans un duo avec Joey Starr pour un spectacle intitulé Les Songes.

Cette Petite Philosophie de l’Improvisation livre n’est en rien un livre prétentieux, ou un livre de développement personnel filandreux, encore moins une pensée magique comme certains pourraient être tentés de le penser à la lecture des premiers mots de la 4e de couverture : « Faites ce que vous voulez ! »

Il s’agit plutôt d’un programme pour aider à « définir, redéfinir, expliquer, construire, enrichir, déployer, agrandir le concept d’improvisation ». C’est une autobiographie qui illustre l’importance de l’intuition et de la liberté face à l’action. Mais attention, une intuition nourrie par le travail et la rigueur.

Vous trouverez dans ce livre quatre parties à savourer :

  • L’improvisation comme libération
  • Comme transmission
  • Comme thérapie
  • Comme moteur de la relation

Je voudrais partager avec vous 4 idées que je retiens de ce petit livre joyeux.

Improviser, c’est oser

Comme Ibrahim Maalouf l’écrit, improviser revient à « faire preuve d’audace, de courage, [à] prendre possession de tout l’espace des possibles, tenter et expérimenter en permanence. Les enfants ont beaucoup à nous apporter grâce à leur rapport brut, ouvert au monde, leur liberté totale et leur intense créativité ».

C’est prendre le risque de l’erreur, de ne pas atteindre la cible qu’on avait fixée. Ou plutôt de s’aventurer sans savoir avec certitude le résultat vers lequel on tend. C’est accepter que l’imperfection puisse nous apprendre quelque chose et que l’action, même approximative, nous fait avancer.

Cette acceptation de l’imperfection n’a rien d’évident. Dans un monde qui valorise la perfection, prendre ce risque, oser comme il le propose, nous expose. Notre éducation nous pousse à l’exactitude, à la précision. S’en éloigner n’est plus aussi naturel que cela peut l’être pour un enfant : « Je crois que nous avons été formés dans un tel modèle de perfection que l’imperfection nous paraît très inconfortable ».

Improviser, c’est accueillir le réel, y compris dans ce qu’il a de plus dérangeant

C’est également être attentif à ce qui s’offre à moi, ce à quoi je ne fais le plus souvent pas attention. Qu’il s’agisse de ce qui me résiste, de ce qui me semble imparfait, en moi comme en dehors de moi, ou même de ce à côté de quoi je pourrai passer sans attarder mon regard.

Ce détour par le réel, pour peu qu’on sache s’y rendre disponible, ouvre d’autres voies. Les sentiers entraperçus sont autant de possibilités à accueillir.

« Finalement, cette dose d’incertitude, d’erreur, de trébuchement, de faux pas, d’écart, génère des imprévus, des surprises, des bifurcations inattendues de l’existence qui peuvent aussi être intéressantes, plaisantes, si on sait les accueillir, les accepter, les considérer. »

Improviser, une « disposition d’esprit qui nous pousse à faire avec les ressources disponibles et à les combiner de manière innovante »

Son évocation de l’enfance nous rappelle qu’il est possible d’agir avec ce qui est à portée de main, en accordant toute l’importance à ce qui est devant nous, sans nous inquiéter de ce qui pourrait nous manquer. C’est une idée qu’on retrouve dans cette phrase d’Ernest Hemingway : «  Now is no time to think of what you do not have. Think of what you can do with what there is », tirée du Veil Homme et la Mer et qui donnerait en français : «  Il n’est plus temps de penser à ce qui te manque. Pense à ce que tu peux faire avec ce que tu as. »

Car tout est ressource, ou presque, jusqu’aux « accidents qui jalonnent » notre vie, aux surprises qui jaillissent, aux rencontres en apparence anodines.

Au-delà du clin d’œil l’effectuation, Ibrahim Maalouf rappelle que l’innovation passe aussi par la recombinaison. Savoir ajuster de façon nouvelle de l’ancien produit des résultats évidents. Encore faut-il s’y arrêter.

Improviser est le rappel que « se tromper est la norme »

Il y a peut-être là l’un des enseignements les plus libérateurs de ce traité. C’est bien réussir qui est l’exception. L’erreur est courante, se tromper normal, sans que cela ne soit un problème majeur le plus souvent.

Toute la difficulté, pour chacun de nous comme pour une organisation, est de parvenir à balancer le risque de court terme, l’accident de la fausse note, avec les possibilités ouvertes à plus long terme, la mélodie qui peut en jaillir.

L’accepter, en étant bien entendu conscient des pertes auxquelles on s’expose, éclaire aussi un ressort peu compris de l’action entrepreneuriale : c’est bien par une suite d’itérations qu’émerge le plus souvent un produit ou un service.

Une condition toutefois à cela !

Ces quatre points qui m’ont frappé dans la lecture (il y a en bien d’autres) ne vont pas de soi. Pour les permettre, il faut une exigence et une attention ouverte à ce qui peut être. Ibrahim Maalouf le rappelle bien, en une forme de reconnaissance à ce que chacun de se parents lui a transmis : « L’improvisation est une expression rigoureuse et libre à la fois ».

À cette condition près, « L’improvisation est un moteur extraordinaire qui nous aide à construire ce qu’on a jamais appris, et pour construire de ses propres mains tout ce qu’on ne nous offre pas ». Un moteur qui ne peut que parler aux cœurs de ceux et celles qui entreprennent.


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Photo d’Oliver Abels (Wikimedia), Ibrahim Maalouf au Festival de Jazz de Francfort en 2013

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