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Ecrire ou ne plus écrire, en laissant la machine le faire pour vous ?

Personne en train d'écrire sur un carnet

La dernière édition de la lettre hebdo de Farnam Street, publiée dimanche matin 12 mars, ne pouvait pas mieux tomber. Pour rappel, la nouvel version de ChatGPT, la 4e, est sorti le 14 mars.

Pour beaucoup, écrire est avant tout un moyen de partager une information, de la faire circuler. Ce faisant, nous passons probablement à côté de l’essentiel : écrire est aussi une des plus belles façons de clarifier sa pensée, de nous assurer que nous comprenons vraiment ce que nous croyons comprendre.

Shane Parrish souligne dans son billet ce point : « L’écriture est le processus par lequel vous réalisez que vous ne comprenez pas ce dont vous parlez », et dans le même mouvement, elle vous permet de le mieux comprendre.

Le fait de pouvoir expliquer en termes clairs un sujet, à l’écrit comme à l’oral, est une formidable manière d’apprendre.

C’était d’ailleurs une des suggestions de Richard Feynman, un physicien brillant, mais surtout un pédagogue et un enseignant accessible : Ecrivez tout ce que vous pensez savoir d’un sujet, avec pour objectif que cela soit partageable à un enfant de 12 ans. Tout au long de ce travail d’approfondissement, enrichissez votre écrit en gardant à l’esprit cette exigence d’accessibilité. Puis exposez-le justement à des enfants de cet âge. La réception qu’ils en feront vous permettra de très vite identifier ce qui manque de clarté, le jardon inutile.

« L’écriture est le processus par lequel vous réalisez que vous ne comprenez pas ce dont vous parlez »

Car l’écriture aide à penser, y compris lorsque vous n’écrivez que pour vous. Au point que Paul Graham, essayiste et programmeur, souligne qu’un bon écrivain ne fait pas que transcrire sa pensée, mais que la pensée jaillit aussi de l’écriture, permettant de « découvrir de nouvelles choses dans l’acte d’écrire ».

Pour Shane Parrish, un effort de synthèse et de clarté est essentiel. Mais la « compression » nécessaire ne doit pas évacuer le sens. Il faut à la fois « penser et comprendre ».

Au risque sinon de voir se généraliser des écrits qui ne s’adressent à personne, comme on peut le voir trop souvent, et dont le bruit l’emporte sur le signal.

Si les outils de génération automatique de texte peuvent rendre de grands services, ils présentent aussi le risque de généraliser une communication verbeuse et banale. Ils ne peuvent se réduire à une solution pour « externaliser sa pensée ». Apprendre à les utiliser va devenir une compétence essentielle, précieuse.

Tout comme le sera la capacité à penser clairement, à être en mesure de « déplier » précautionneusement tout sujet au-delà des évidences ou des généralités.

 


Les réactions sur Linkedin à la publication de ce billet ont permis de mettre en lumière plusieurs points intéressants que je vais regrouper ici :

  • Pour débuter, une citation partagée par François-Joseph Vella de François Michelin, en forme de « compression » bienvenue : « Quand je parle, j’emploie des mots simples pour être sûr de comprendre ce que je dis ». Qui a par la suite été compressée un peu plus par Nicolas Tommasini en « Ecrire = mieux penser ».
  • Autre proposition, l’écriture est « un geste, un temps de présence à soi comme au monde indis-pensable ». Cette phrase d’Aude Viot Coster rappelle là deux aspects peu compris de l’acte d’écrire : à la fois mouvement, qui engage tout mon corps (les neurosciences laissent d’ailleurs penser que c’est une des raisons pour lesquelles la mémorisation est facilitée par le fait d’écrire ce que l’on veut apprendre) ; mais aussi acte inscrit dans la durée, au contact du réel.
  • Ce qui nous amène à une troisième réaction venant de Philippe de Luzy : « l’écriture est juste une mise en perspective personnelle d’un point de vue. Ce point de vue se construit aussi par les brouillons que nous prenons le temps de compléter. Avec les outils d’automatisation ce qui s’exprime par notre travaille en 3 dimensions s’aplatit ». J’aime cette idée de la réduction de la 3D à la 2D et des dangers que ce la représente. Certains chercheurs travaillent d’ailleurs sur des modèles d’IA qui travailleraient non par absorption de contenus, mais par confrontation au monde physique et au réel. Cela pourrait aider à remettre un peu de « volume » dans ce qui est généré.
  • Et plus loin, il ajoute, « Nous perdons alors ce qui fait l’essence même d’une société la différence et l’acceptation nécessaire des autres points de vues qui éclairent la partie invisible de ce cube que nous décrivons ». Ce point de la confrontation des points de vue est pour moi une piste plus belle encore, par l’intégration, ou à tout le moins une réflexion sur le point de vue différent du mien. Je suis toujours frappé par la pertinence de prendre en compte « l’intelligence des acteurs », de réfléchir à ce qui est sans doute sensé dans ce que je ne comprends pas. J’utilise souvent une autre image que la partie invisible de ce cube : face à un objet complexe, une oeuvre d’art « physique », on apprend autant de notre observation directe que de celle des ombres projetés pas les différents éclairages de cette oeuvre, quand bien même ces ombres ne la constituent pas. 

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Photo d’illustration de lilartsy via Unsplash

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