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Qu’est-ce qu’un entrepreneur

Chemin dans un sous-bois, traversé de racines apparentes

En rattrapant ma liste de lecture en souffrance, je suis tombé sur un billet de Christian Travier passant en revue les passions de l’entrepreneur, texte à lire posément, qui permet de décanter le sujet, et donc de se poser de bonnes questions. Que ce soit avant de se lancer dans une aventure entrepreneuriale ou afin de faire le point en cours de route.

Ce billet m’a renvoyé à d’autres écrits sur la passion d’entreprendre : un premier par Xavier Alberti, intitulé Commencer, un second de Christophe Conticello sur les caractéristiques de l’entrepreneur. Ces lectures sont entrées en résonnance avec des conversations récentes autour de l’entrepreneuriat, que ce soit avec des clients qui viennent de s’y engager ou des personnes pour qui la question se pose, voire se repose.

Ceux qui me connaissent ne seront pas surpris par ce qui va suivre, une carambole de plus sur ce blog, ces billets déclenchés par d’autres, à l’image de la bille rouge qui dans le billard français ne peut être déplacée qu’en étant frappée par une des deux autres billes.

 

Relever des défis

Après avoir passé en revue certaines passions souvent mises en avant, passion du produit, pour une cause, la liberté ou l’argent, Christian Travier présente celle de « relever des défis comme supérieure à toutes les autres ». Cette passion, première, permet d’avancer, y compris face aux obstacles et aux échecs. D’ailleurs, les défis et les surprises sont autant de stimulants qui renouvellent l’aventure au quotidien (quand bien même ils peuvent la miner).

Comme il le souligne très justement, ce besoin de dépassement est un levier qui « permet d’atteindre le produit qui trouve son marché, la solution qui fait progresser une cause, et l’argent qui in-fine rend libre ».

Cette passion des défis est un excellent filtre pour vous qui vous posez des questions. Elle clarifie les enjeux de ceux qui sont avant tout des inventeurs, mais pour qui le passage à l’action n’est pas essentiel. L’inventeur n’est pas nécessairement celui qui va transformer son travail en une innovation, laquelle va rencontrer son public. Sans cette passion du dépassement, les risques d’épuisement et d’échec guettent. Un inventeur aura tout à gagner à identifier s’il se sent une âme d’entrepreneur avant de se lancer.

 

Agir

Passion du dépassement donc, en forme de besoin d’action. C’est ici que Xavier Alberti prend le relais avec un très beau billet, écrit lors d’un de ces points de bascule infimes, un anniversaire, où pourtant « quelque-chose se dénoue ».

Dans une belle écriture, il affine la passion proposée par Christian Travier de relever des défis. Xavier Alberti souligne qu’il ne s’agit pas de réussir, d’« accumuler les victoires et ses attributs sonnants et trébuchants », mais plutôt de « réussir à essayer ». Et que cela passe par l’action.

« Faire, inlassablement, imparfaitement, et même ridiculement, mais faire, pour advenir, pour naître encore et encore, et ne jamais terminer. »
Xavier Alberti

Ce faisant, le succès n’est pas, ou plus, un objectif mais bien un moyen pour continuer. Et par ricochet, l’échec n’est plus une sanction terrible mais une étape de plus sur le chemin.

Cette passion de relever des défis est au fond un besoin d’action orienté non vers les victoires mais vers une progression, ou plus de vie, chacun mettra ici les mots qui lui conviennent le mieux.

Mais cela à mon sens ne suffit pas. Je connais nombre de dirigeants, brillants et puissants, motivés par la hauteur des cols à franchir, qui ne seront jamais entrepreneurs. Mon impression est que pour eux, le défi prime sur la liberté, au point que la liberté pourrait même devenir un fardeau.

 

Le contrôle de sa destinée

Ceci nous ramène à la place de la liberté mentionnée par Christian, ou à ce que j’appellerai plutôt le besoin de contrôle de sa destinée, tant le mot de liberté me parait miné.

Si l’idée de liberté parait séduisante, elle peut facilement induire en erreur. Car très vite, la « liberté », ou plutôt son expression « sublimée » que pourrait viser l’entrepreneur, peut se fracasser sur le réel. On constate rapidement que l’autonomie qu’on revendique est encadrée, voire amputée, par la nécessité de « servir » son client, qui a tout d’un « patron ». Sans parler des contraintes qui s’imposent au quotidien dans la gestion d’une entreprise dès que celle-ci grossit et embauche.

Xavier Alberti décrit très finement comment entreprendre signifie « se cogner au monde, aux crises, à l’adversité, à la jalousie aussi ».

Cette liberté ne peut aller sans limites, qu’il faut accepter d’embrasser dans un même mouvement. Comme ce qu’évoque Éric Tabarly dans ses « Mémoires du large », lorsqu’il parle de la liberté du navigateur. Pour le paraphraser, entreprendre, « c’est accepter les contraintes que l’on a choisies. C’est un privilège. La plupart des humains subissent des obligations que la vie leur a imposées ».

« Le bateau n’est pas, contrairement à ce qu’imaginent certains, la liberté.
Naviguer : c’est accepter les contraintes que l’on a choisies. C’est un privilège. La plupart des humains subissent des obligations que la vie leur a imposées ».
Eric Tabarly, Mémoires du Large

Si le principal driver pour se lancer dans une aventure entrepreneuriale vous parait la liberté, alors il faut lucidement vous poser la question de creuser la pertinence du chemin dans lequel vous allez vous engager. Un très fort besoin d’autonomie et de liberté ne « fait » pas l’entrepreneur, alors qu’il peut très bien faire de vous un travailleur indépendant heureux.

C’était ce qu’écrivait très justement Christophe Conticello dans un ancien billet Linkedin sur les caractéristiques de l’entrepreneur : les « deux démarches [sont] très différentes à mes yeux. L’indépendant a un besoin d’autonomie et même d’indépendance très fort : il aime travailler seul et doit vendre une expertise. L’entrepreneur, lui, ne sait rien faire tout seul, il est rarement un expert ».

Cette conscience de ne rien pouvoir faire seul est d’ailleurs l’un marqueurs de l’#effectuation, cette logique d’action propres aux entrepreneurs mise en évidence par Saras Sarsvathy, une chercheuse et entrepreneure indo-américaine. L’effectuation insiste sur le fait que l’entrepreneuriat est une activité sociale, bien loin de représentations héroïques qui font de l’entrepreneur un surhomme solitaire.

 

Deux besoins indissociables

Tout ceci m’amène tout naturellement vers la définition de l’entrepreneur pour Melcion Chassagne et Cie, un partnership auquel j’appartiens. Cette définition s’est imposée au contact des milliers d’entrepreneurs rencontrés depuis sa fondation en 1996.

C’est bien deux besoins intriqués qui pour Melcion font l’entrepreneur, en écho direct aux textes vers lesquels je vous ai envoyés :

    • un besoin d’être aux commandes de son aventure, de contrôler sa destinée,

    • un besoin permanent de dépassement, de renouvellement et d’action, d’achievement permanent pour reprendre un mot anglais.

Ce qui donnerait la représentation suivante, illustrant notamment l’écart existant entre les indépendants et les entrepreneurs mentionné plus haut.

 

Faire le choix de l’entrepreneuriat

Vous avez là une grille de lecture pour réfléchir à votre trajectoire, pour vous aider à trouver des réponses aux questions suivantes : Ai-je l’âme d’un entrepreneur ? Comment vérifier que j’en suis capable ? Comment rebondir après un échec ? Est-il possible de retrouver ce qui était le moteur d’une précédente entreprise ?

Vous positionner par rapport à chacun de ces besoins peut guider une introspection nécessaire si vous songez à vous lancer dans une aventure entrepreneuriale (création ou reprise d’une activité), ou si vous sentez venu le temps d’une approche renouvelée de votre désir d’entreprendre.

La réflexion est accessible à tous, que vous ayez ou non déjà entrepris. Scrutez les projets dans lesquels vous vous êtes engagés, les décisions importantes que vous avez prises, la façon que vous avez eue de tracer votre route.

Cette étape de discernement est essentielle, car elle vous aidera à clarifier le chemin à prendre : indépendant, franchisé, reprise d’une entreprise ou lancement d’une nouvelle activité sont autant de pistes possibles, chacune pouvant convenir à vos envies pesées à l’aune de vos besoins de liberté et d’achievement. Ayez par ailleurs à l’esprit votre capacité à affronter l’incertain. Ou dit en termes effectuaux, quelle est votre « perte acceptable », ce risque que vous pouvez vous permettre de prendre sans vous mettre en danger, y compris en cas d’échec ?

Une fois la décision prise, il vous faudra avancer sans illusion de la facilité, avec la certitude que vous avez les ressources pour trouver les chemins à ouvrir.

Et si le chemin prime sur la destination lorsque l’on entreprend, cette dernière n’est pas connue d’avance, nous faisant parfois atterrir « exactement là où l’on n’avait jamais imaginé arriver » comme le partage Xavier Alberti. Ou pour reprendre les mots de Pierre Soulage, aux vitraux blancs et pourtant colorés, ainsi qu’au noir puissant, accueillir la surprise qui survient et en faire une création comme il le suggère lorsqu’il disait « Ce n’est pas ce que je cherchais, mais c’est ce que j’ai rencontré. »

 


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Photo de Zach Callahan sur Unsplash

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