Quand l’acte de créer rejoint la posture de l’entrepreneur : c’est ce qui m’a sauté aux yeux à la lecture de deux ouvrages traitant d’un même sujet, les vitraux créés par Pierre Soulages pour l’abbaye de Conques.
Nos décisions émergent à notre conscience
« Les décisions viennent d’abord de la sensibilité, la rationalisation vient ensuite, lorsque l’on s’explique. »
Je découvre cette phrase étonnante de Pierre Soulages dans un petit livre d’entretien avec Jacques Le Goff, intitulé « De la pertinence de mettre une œuvre contemporaine dans un lieu chargé d’histoire ».

Pour lui, « c’est le propre de toute décision artistique. »
Cette réflexion étonnante de 1995 dépasse largement le cadre de la création artistique, et fait écho aux travaux sur la prise de décision et la cognition, que ce soit par les neurosciences ou la psychologie cognitive. Et s’applique bien sûr aux réflexions entrepreneuriales.
Plus loin, à propos de son choix d’un verre translucide et non transparent, il ajoute : « Ce que l’on ressent profondément en soi et qui parvient au niveau de la conscience, peut apparaître comme volontairement pensé. Cependant son origine n’est pas dans la pensée rationnelle mais dans l’impulsion. » D’autres parleraient d’intuition, nourrie par l’expérience et la pratique.
Pas de surprise pour un entrepreneur lorsqu’on lui dit que la cognition est « incarnée », et que sa raison se nourrit des émotions et des réactions corporelles.
La démarche de création de ces vitraux est d’ailleurs étonnante. Soulages a démarré par la recherche d’un matériau, qu’il a créé avec Jean-Dominique Fleury, maître verrier.
C’est de ce matériau que Soulages est parti, « pour penser à partir de lui », et non à partir d’une esquisse transformée ensuite en maquette.
Partir de ce que l’on a pour créer, s’appuyant sur ce qui a été fait auparavant, comme le font tant d’entrepreneurs qui agissent en ayant les principes de l’effectuation en tête. Et travailler en se nourrissant d’engagements réciproques, avec notamment Saint-Gobain qui a contribué à la mise au point de ce verre si particulier.
Au point d’en arriver à prononcer cette phrase : « Ce n’est pas ce que je cherchais, mais c’est ce que j’ai rencontré. »
De la place de l’inattendu et de la surprise
La lecture d’un second ouvrage, par Christian Heck, toujours sur les vitraux de Conques, permet de mieux mesurer combien des « événements inattendus » ont modifié le projet initial. Son titre : « Présence de la lumière inaccessible. Les vitraux de Conques et la peinture de Soulages ».

« L’œuvre dépend […] aussi de ce qu’il advient d’imprévu plus ou moins sciemment » indique Soulages. Notamment lorsque cherchant à moduler la luminosité, il rencontre dans son verre incolore un chromatisme inattendu, bleuté et orangé selon les endroits.
Ces couleurs se modifiaient « avec le temps qui s’écoule », marquant le passage des heures : « C’était une belle rencontre et une grande surprise. Rien de tout cela ne serait survenu si je m’étais contenté d’interpréter avec du verre une maquette née d’un projet pictural ». Ceci a été rendu possible par la réalisation de deux très grands prototypes pour comprendre les jeux de lumière et l’accord possible de l’ensemble avec l’architecture.
De cette découverte inattendue, de cette surprise, Soulage fait quelque chose. Ce qui aurait pu n’être qu’un constat fortuit devient une matière qu’il va décider de travailler, comme ce pigment noir qui a fait sa célébrité, cet « outrenoir » ne contenant aucune couleur. Pour aboutir à la création des vitraux pour l’intérieur comme pour l’extérieur, une nouveauté, faisant écho des deux côtés aux schistes et lauzes de l’abbaye.
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